Trophées de guerre, objets ethnographiques et documents politiques rapportés par le militaire Émile Storms

06.07.2021

Dans cet article, nous étudions le contexte d’acquisition de six objets et documents rapportés par le lieutenant Émile Storms (1846-1918) et présentés dans l’exposition permanente de l’AfricaMuseum :

  • Statue dite « de Lusinga » (EO.0.0.31660) ;
  • Deux statues d’ancêtres du chef tabwa Kansabala Kisuyu (Kansawara, Cansawara, Kassabala) (EO.0.0.31663 & EO.0.0.31664) ;
  • Premier Acte de soumission du chef Kansabala (HA.01.0017.50.1) ;
  • Second Acte de soumission du chef Kansabala (HA.01.0017.50.6) ;
  • Hache de parade (EO.0.0.31715).

Ces six objets et documents font partie d’un ensemble bien plus large. En effet, la collection donnée au musée en 1930 par la veuve de Storms, Henriette Dessaint, comprend :

  • près de 340 objets ethnographiques, dont une vingtaine d’instruments de musique ;
  • quelques documents, notamment 6 traités de soumission de chefs africains ;
  • plusieurs éléments de l’équipement de Storms

Une collection sous l’égide de l’Association internationale africaine

L’Association internationale africaine (AIA) est une organisation créée par Léopold II en 1876. Présentée comme philanthropique, sa mission affichée est « d’apporter la civilisation » en Afrique et d’y combattre l’esclavagisme. Sous ce couvert humanitaire, il s’agissait surtout pour Léopold II de conquérir des territoires en Afrique afin de les exploiter. Ainsi, les actions de l’AIA ont permis la création en 1885 de l’État indépendant du Congo.

En 1882, Storms quitte la Belgique pour une mission « d’exploration » pour le compte de l’AIA, en tant que commandant de la « 4e Expédition africaine de la côte orientale ». Cette mission est menée jusqu’aux abords du lac Tanganyika. L’exploration de la rive occidentale du lac aboutit à la fondation de la station de Mpala/Lubanda le 10 mai 1883, où Storms s’établit pendant plus de deux ans, jusqu’à son départ définitif du Congo en juillet 1885.

C’est au cours de cette mission que Storms rassemble les objets donnés au musée après sa mort.

À deux reprises, les collections de Storms, dont des objets ethnographiques, sont fortement endommagées, voire perdues : 

  • le 14 février 1885, Storms constate dans son journal : « mes collections ethnographiques sont détruites en grande partie par les fourmis blanches [termites, N.D.L.R.] et celles qui ont été confiées à la station par la caravane allemande sont encore dans un plus piteux état » ; 
  • le 19 mai 1885, Storms relate une attaque qui aboutit à la destruction quasi complète de la station de Mpala par incendie : « C’est un triste spectacle, toutes mes collections sont perdues, 150 clichés photographiques, collections d’histoire naturelle, ethnographique, physique, géologique, minéralogique, etc., etc. Journaux, cartes, en un mot tout tout tout. »

Cet épisode est certainement la cause de l’état, partiellement brûlé, de certains documents de Storms (dont le premier Acte de soumission de Kansabala, traité ci-dessous). L’incendie pourrait également expliquer pourquoi il n’existe pas de portrait photographique des chefs Lusinga et Kansabala.

 

Statue dite « de Lusinga »

 

  • EO.0.0.31660
  • Exposée dans la salle Histoire coloniale
  • Région de Marungu
  • Sculptée au XIXe siècle / 2e moitié du XIXe siècle
  • Vraisemblablement fabriquée à la demande du chef tabwa Lusinga lwa Ng’ombe (vers 1840-déc. 1884)
  • Propriété du chef tabwa Lusinga 
  • Probablement saisie par les hommes d’Émile Storms lors d’une expédition punitive le 4 décembre 1884, au cours de laquelle Lusinga est décapité
  • Juillet 1885 : la statue quitte Mpala/Lubanda avec Storms qui rentre en Belgique le 21 octobre 1885
  • Collection Émile Storms, 1885-1918
  • Publication de la statue en 1886 (Jacquemont & Storms 1886-1887)
  • Storms décède à Bruxelles le 12/01/1918
  • Collection Henriette Dessaint, veuve d’Émile Storms, Ixelles, 1918-1930
  • Donnée au musée par Henriette Dessaint en 1930
  • Importante expographie

Cette statue représente les ancêtres masculins de Lusinga lwa Ng’ombe (vers 1840-1884), un chef tabwa de la région de Marungu dans l’Est de l’actuelle RD Congo. Principal opposant et adversaire de l’officier belge Émile Storms qui cherchait à obtenir la mainmise sur les territoires à l’ouest du Tanganyika, Lusinga est décapité lors d’une opération militaire punitive organisée par Storms, le 4 décembre 1884.

La défaite de Lusinga par mort violente aboutit à la reddition de nombreux chefs de la région. Pour Storms, c’est aussi l’élément déclencheur d’une guerre qui lui permet d’établir son hégémonie. Cet événement marque durablement les mémoires. Dans les années 1970, les anciens de Mpala connaissaient encore le récit spectaculaire et macabre de cet épisode historique : de l’attaque contre Lusinga au cortège victorieux des hommes de Storms à leur retour à la station avec leur important butin (Roberts 2013 : 58).

Outre la tête tranchée de son ennemi rapportée en trophée, des vivres et des biens sont pillés, dont certainement cette statue.

En se l’appropriant, Storms consolide symboliquement sa victoire en s’emparant ainsi de la figuration de la lignée dynastique du chef défunt. L’intégration de la sculpture dans la collection privée du militaire (et ce jusqu’à sa mort) en Belgique atteste de cette valeur de « trophée de guerre ». Pendant des années, elle est d’ailleurs exposée dans une installation de panoplies dans son salon à son domicile bruxellois. 

Dans la grande rotonde du musée, l’artiste congolais Aimé Mpane a représenté le crâne du chef tabwa Lusinga. Rapportée en Belgique avec deux autres crânes de chefs de la région (Maribu et Mpampa), cette relique est restée dans les collections personnelles de Storms. Elle fut ensuite donnée au musée de Tervuren en 1935 (où elle intégra la section d’Anthropologie physique), pour être transférée, au cours des années 1960, au Musée royal d’Histoire naturelle/Muséum, aujourd’hui Institut royal des Sciences naturelles de Belgique. Les crânes de Lusinga et de Maribu se trouvent toujours à l’IRSNB. Celui de Mpampa est resté dans les collections du MRAC (Volper 2021).

L’œuvre réalisée par Mpane participe au questionnement actuel sur la présence de tels « restes humains », issus de la conquête et de l’occupation coloniale, dans les collections nationales belges et plus largement sur la violence, physique et symbolique, à l’origine de ces collections. En collaboration avec six autres musées et universités, le MRAC a lancé en 2020 le projet HOME afin d’évaluer de manière approfondie le contexte historique, scientifique et éthique des restes humains présents dans les collections belges. L’objectif est d’informer les décideurs politiques et les parties prenantes sur leurs destinations finales possibles.

 

 

Deux statues d’ancêtres du chef tabwa Kansabala

 

  • EO.0.0.31663 & EO.0.0.31664
  • Exposées dans la salle Rituels et Cérémonies 
  • Région de Marungu
  • Fabriquées au XIXe siècle
  • Vraisemblablement fabriquées à la demande du chef tabwa Kansabala Kisuyu (?-fin octobre 1885), un parent (oncle maternel) de Lusinga
  • Propriété du chef Kansabala 
  • Mars 1885 : saisies dans la forteresse de Kansabala, région de Marungu, par les hommes de Storms
  • Juillet 1885 : Storms quitte Mpala/Lubanda et retourne en Belgique avec les deux statues
  • Collection Émile Storms, 1885-1918
  • Mi-septembre 1885 : Kansabala se rend à Lubanda et fait une 2e soumission à la station de Mpala 
  • 21 octobre 1885 : arrivée de Storms en Belgique
  • Fin octobre 1885 : mort de Kansabala
  • Février 1886 : enterrement rituel de Kansabala à Lubanda
  • Publication des deux statues (Jacquemont & Storms 1886-1887)
  • Storms décède à Bruxelles le 12/01/1918
  • Collection Henriette Dessaint, veuve d’Émile Storms, Ixelles, 1918-1930
  • Données au musée par Henriette Dessaint en 1930
  • Importante expographie

Après la défaite de Lusinga, Kansabala (ou Kansawara) fait partie des chefs qui se soumettent à Storms en faisant allégeance à la station que le militaire belge a fondée à Mpala. Le 9 décembre 1884, Storms relate dans son journal :

Je suis en négociation avec Kansawara le plus grand chef du Marungu pour lui faire reconnaître ma suzeraineté.

Et le 15 décembre 1884, en effet, Storms écrit :

Kansawara envoie une ambassade pour me donner réponse à l’ordre que je lui ai fait parvenir de se ranger sous ma souveraineté et comme marque de soumission qu’il a à me payer un hongo en houes. L’ambassade est conduite chez moi par Mpala qui sert d’interprète aux gens de Kansawara. Mpala transmet les paroles dites au nom de Kansawara à mon nyampara qui à son tour me communique ce qui lui a été dit. […] Kansawara me fait savoir qu’il n’a pas pu répondre plus vite à ma demande parce qu’il avait dû consulter tous ses chefs à ce sujet, et que sa contrée étant grande il avait fallu plusieurs jours pour les réunir. […].

Un traité de soumission est signé ce jour-là entre Storms et les représentants de Kansabala. L’une des versions originales de ce document, datée du 15 décembre 1884 et rédigée en arabo-swahili, est conservée au MRAC. Elle est présentée dans une vitrine de la salle Langues et Musiques (voir ci-dessous).

Quelques semaines après cette première soumission, Storms entre néanmoins en conflit avec Kansabala au prétexte que le chef a participé à la désignation d’un successeur pour Lusinga sans lui en rendre compte.

Le village de Kansabala est alors détruit le 22 mars 1885, tandis que son chef trouve refuge chez un de ses alliés, Louiké.

Dans son journal, Storms décrit le 27 mars 1885 l’important butin de sculptures qui a été raflé :

Du village de Kansawara me viennent beaucoup de fétiches et des idoles. Ces dernières ne sont pas des idoles comme nous nous les figurons, on ne leur voue pas un culte. Dans les cases des chefs elles représentent généralement leurs aïeux. Elles sont placées dans des petites cases spéciales et chaque fois que le chef boit du pombé elles en ont leur part. On place généralement à côté d’elles les dawa dont se servaient ceux qu’elles représentent.

Comme la statue de Lusinga, les sculptures de Kansabala sont publiées en 1886 dans une étude ethnographique cosignée par Storms. Les deux statues étaient alors porteuses, outre leurs cornes, d’éléments supplémentaires, notamment des colliers et peausseries qui ont disparu progressivement. En 1929, avant leur entrée au musée, les éléments de fourrures semblent déjà manquants (voir les photos HP.1930.653.4 & HP.1930.653.5 ; notons que des éléments de parure ont par contre été rajoutés). Aujourd’hui, il ne reste que les cordelettes des imposants « colliers », qu’arboraient ces figures.

De même que la structure simplifiée de leurs corps, ces éléments disparus caractérisent une deuxième fonction de ces sculptures, à la fois représentations d’ancêtres du lignage royal de Kansabala mais, surtout, supports de puissants charmes magiques de protection. À cet égard, les connaissances de Storms lui permettaient certainement d’envisager les bénéfices stratégiques qu’il pouvait tirer de l’appropriation de tels objets, volés à son ennemi.

 

Premier Acte de soumission du chef Kansabala

  • Exposé dans la salle Langues et Musiques

Traduction française originale :

Le 28 du 5e mois de la [sic]
Le 15 décembre 1884,
Copie du PV par lequel le roi Kansawara cède ses pouvoirs à l’Association – Traduction,
Je soussigné, Paul Reichard, commandant de l’expédition allemande de l’Association internationale, déclare avoir assisté à l’entrevue qui a eu lieu entre : Monsieur Storms agissant au nom de l’AIA d’une part et une ambassade envoyée par le roi Kansawara agissant au nom de ce souverain d’autre part. 
Le roi Kansawara fait savoir : qu’après la défaite et la mort de Lusinga, il a réuni tous ses chefs pour savoir la conduite qu’ils avaient à tenir vis-à-vis du vainqueur de Lusinga. Qu’après délibération il a été décidé que : le roi Kansawara et tous les siens reconnaissaient l’autorité de l’Européen en résidence à Mpala et qu’il remettait entre ses mains les pleins pouvoirs sur toute l’étendue de leurs contrées.
Le roi Kansawara a confirmé cette déclaration en payant hongo.
Cette façon de procéder est conforme aux us et coutumes de la contrée en pareille circonstance.

Seule la traduction française possède dans un nota bene la liste des « principaux centres des états de Kansawara » qui comporte plus de 50 noms de localités.

La traduction contemporaine établie par X. Luffin (publiée en 2020) varie légèrement et elle est sans doute plus juste/littérale quant au contenu :

Le vingt[-huit] du 5e mois,
Monsieur Storms, qui représente l’Association internationale africaine, et les émissaires du roi Kansawara, qui ont été envoyés par celui-ci parce qu’il ne pouvait pas venir lui-même, ont tenu conseil sur son territoire. Kansawara a rassemblé ses hommes et a tenu conseil avec leurs chefs. Il a déclaré qu’après la défaite et la mort de Lusinga, il fallait tenir un conseil pour décider de l’avenir du pays. Lorsqu’ils ont fini leur conseil, il a dit que le roi Kansawara, ses hommes et ses chefs acceptaient l’autorité des Blancs qui se trouvent à Mpala et que leur force appartenait désormais aux Blancs. Enfin le chef Kansawara a envoyé son tribut aux Blancs pour qu’ils sachent qu’il considère réellement être sous leur autorité, conformément aux coutumes du pays. Moi, Paul Reichard, responsable de l’expédition allemande, j’ai assisté à toute la discussion en tant que témoin.

Seules les signatures de Reichard et de Ramazani reprennent leurs noms en toutes lettres, les autres étant de simples paraphes.
[En allemand :] Paul Reichard, Chef der deutschen Expedition ; 
Hamisi, Mwenye Kombo, Said, Sadala, Ramazani, [Mpala]

Le chef Kansabala signe à deux reprises un Acte de soumission au poste fondé par Storms à Mpala. Le premier de ces deux documents est conclu par des ambassadeurs au nom de leur roi. Il est rédigé en arabo-swahili devant plusieurs témoins, dont le chef Mpala (« frère de sang » de Storms) qui assura le rôle d’interprète à cette occasion.

Il existe deux versions arabo-swahili de ce traité dont l’une est conservée avec sa traduction française d’origine, établie par Storms, dans les anciennes Archives africaines de l’État belge. La deuxième version se trouve au MRAC ; c’est sa reproduction qui est présentée dans cette salle. À l’époque, une troisième version a vraisemblablement été rédigée pour Kansabala.

S’il existe bien de légères variations entre les deux versions arabo-swahili connues (Xavier Luffin suggère la présence de plusieurs scribes), la traduction française établie par Storms s’éloigne singulièrement des textes d’origines.

Storms lui-même reconnait l’adaptation de ce texte pour un lectorat européen. En effet, il est destiné au secrétariat général de l’AIA à Bruxelles et à travers lui, aux représentants des puissances occidentales (qui pourraient à terme contester la souveraineté de ces territoires à Léopold II). 
Ce faisant, Storms satisfait aux directives de Maximilien Strauch, conseiller de Léopold II et secrétaire général de l’AIA, qui réclame la concision et l’efficacité des formulations d’abandon des droits souverains dans la rédaction des traités.

Il faut que ces traités soient aussi courts que possible et qu’en un article ou deux, ils nous accordent tout.
Léopold II à Strauch, 5 oct. 1882 et 15 oct. 1882, Papiers Strauch, nos 125 et 129, ministère des Affaires étrangères
(Denuit-Somerheusen 1988 : 87).

Les formules varient ainsi quelque peu entre une traduction contemporaine littérale (Luffin 2007) :

le roi Kansawara, ses hommes et ses chefs accept[ai]ent l’autorité des Blancs qui se trouvent à Mpala et [que] leur force [appartenait] appartient désormais aux Blancs.

Et celle fournie par Storms :

le roi Kansawara et tous les siens reconnaiss(ai)ent l’autorité de l’Européen en résidence à Mpala et [qu’]il remet[tait] entre ses mains les pleins pouvoirs sur toute l’étendue de leurs contrées.

En outre, seule la version française écrite par Storms énumère la liste de plus de 50 villages concernés par le traité.

Quoique légères, ces différences formelles sont révélatrices des écarts d’interprétation du sens de ces documents. Du point de vue congolais, la soumission d’un chef, formalisée ici par le paiement du hongo, n’implique pas nécessairement l’abandon pur et simple de toute souveraineté territoriale et politique. C’est pourtant ce que le texte signifie pour les Européens de Mpala : mettre les contrées entières de Kansabala sous l’autorité de l’AIA représentée par Storms, pour toutes formes d’intervention politique, afin de légitimer à terme la reconnaissance (alors imminente) d’une souveraineté « léopoldienne » sur ces territoires.

 

Second acte de soumission du chef Kansabala

  • Exposé dans la salle Histoire coloniale

Transcription :

Kassabala vient de lui-même faire acte de soumission au chef de la station de Mpala, apportant en témoignage un tribut selon les us et coutumes du pays. Il reçoit avec la promesse d’être protégé par nous un terrain qui lui est assigné par nous. 
[signatures :] I. Moinet, supérieur / Kiwe / Kassabala / Mkala ou Ukala

Kansabala (ainsi que les témoins congolais) signe ce texte rédigé par la père Isaac Moinet (le référent au poste de Mpala en l’absence de Storms) par une croix.

Le conflit entre Kansabala et Storms dure jusqu’au retour de ce dernier en Belgique.

Ayant préparé contre lui une nouvelle expédition (300 hommes tous issus de renforts de chefs alliés), le 11 avril 1885, au moment du départ de la colonne armée, Storms livre dans son journal l’explication d’un tel acharnement : 

Voilà toute une série de guerres qui s’enchevêtrent et dont la cause première est bien simple ; Lusinga ayant surpris et détruit un village qui se trouvait sous mon protectorat, j’ai fait la guerre à Lusinga pour faire respecter les miens. Lusinga tué, la joie était grande dans toute la contrée, mais bientôt ils ont oublié la terreur que Lusinga inspira naguère et on me reproche, du moins dans quelques contrées, d’avoir tué un de leurs chefs. Mais si d’une part cette guerre a des inconvénients à cause de la façon même de faire la guerre dans cette contrée, elle nous assure une autorité prépondérante dans la contrée.

Malgré des jeux d’alliance formalisés entre autres par la signature des traités (outre les 6 qui sont parvenus au musée, Storms en mentionne plusieurs autres dans ses écrits personnels), la soumission par les armes constitue un principe indispensable pour Storms. Selon lui, tout pouvoir qui ne repose pas sur une puissance militaire est illusoire et il justifie ainsi de répondre à tout (semblant d’) affront avec une implacable violence afin de ne pas perdre son autorité, ni certainement sa vie… À cet égard, Storms déplore dans son journal (1er décembre 1884) des campagnes britanniques trop respectueuses et pas assez agressives. Et en référence à l’occupation des territoires par les Arabo-Swahilis, il déclare : « D’ailleurs dans toute l’Afrique on ne reconnaît d’autre conquête que celle faite par les armes ». 

Plusieurs mois après le départ de Storms pour la Belgique, Kansabala fait finalement allégeance une seconde fois à la station de Mpala, le 29 septembre 1885, dans un document qui est également entré dans les collections du musée via la collection de Storms, envoyé à ce dernier par le père Isaac Moinet, successeur officieux du militaire à Mpala.

Leur correspondance révèle la poursuite du système mis en place par Storms :

Le 24 [septembre 1885], nous continuâmes nos manœuvres au nom de l’association, je donnai notre pays, rive gauche du Lufuka à Mwana Mungu [?], Mama Kaomba et Kassabala qui, m’accompagnant, reçu ordre de ma part d’aller leur déterminer un emplacement pour y construire leur ville et s’y fortifier avec ordre aux chefs dans 5 jours de venir à la station afin […] de signer l’acte dont je vous enverrai copie. J’ai voulu prendre tout cet appareil afin d’imiter votre manière de faire et que les sauvages/chefs soumis n’aient rien à dire.

Ce suivi à distance témoigne du caractère personnel de la domination exercée par Storms sur ce que certains de ses contemporains ont bien perçu comme « son royaume » de Mpala/Lubanda et ses alentours.

Se poursuit ainsi quelque temps, le fonctionnement autonome et quelque peu erratique de la station de Mpala ; un état de fait que les détracteurs de Storms (et à travers lui du nouvel État indépendant du Congo) n’ont pas manqué de relever à l’époque en le surnommant avec sarcasme « Émile 1er, empereur du Tanganika » (Le Mouvement géographique 1885 : 69).

Dans ses écrits, Moinet se félicite de l’impact obtenu par la totale reddition de Kansabala. À sa mort (de vieillesse), qui survient moins d’un mois plus tard (fin octobre 1885) lors d’une épidémie de variole, Moinet suit avec attention la tenue des funérailles de Kansabala et supervise de près la désignation de son successeur.

 

Hache de parade

  • Exposée dans la salle Une histoire longue

 

La collection de près de 340 objets et documents rapportés en Belgique par le militaire Émile Storms comprend une petite centaine d’armes, dont sept haches.

Par approche comparative, cette hache de parade a été attribuée aux populations tetela de la région du Sankuru, située au centre de l’actuelle RD Congo. Émile Storms n’est cependant jamais allé dans cette région. Certains des objets collectés ont toutefois été identifiés par lui comme originaires du Maniema, une zone également occupée par les Tetela et qui se trouve entre le Sankuru et le Marungu où le militaire avait établi un poste sur la rive ouest du lac Tanganyika. À cette époque, des groupes tetela étaient entrés depuis plusieurs années en relations commerciales avec les Arabo-Swahilis, notamment le marchand zanzibarite Tippo-Tip, et il y avait donc une très grande circulation des personnes et des objets entre toutes ces régions. 

En l’absence d’indication dans les archives, il est impossible de déterminer un lieu de « provenance » précis pour cette pièce (comme pour de nombreuses autres du musée). Mais il se pourrait aussi que des informations aient été malheureusement perdues.

Dans un courrier au directeur du musée, le conservateur J. Maes (dossier d’acquisition 09/05/1930) mentionne :

En examinant la collection, j’ai remarqué que quantité de pièces […] portent de petites étiquettes avec indication de groupe et numéro. Je suppose que ces indications se rapportent à des notes ou souvenirs se rattachant aux objets. […] Si Mme Vve Storms pouvait retrouver ces documents nous lui [en] serions infiniment reconnaissant […]

L’existence de sources d’information supplémentaires pour préciser la provenance des collections est souvent mentionnée par le conservateur J. Maes dans les avis qu’il rend au sujet des potentielles acquisitions du musée. C’est un argument favorable à l’achat qui montre la conscience de la plus-value apportée par de tels éléments. Toutefois, force est de constater qu’une fois l’acquisition réalisée, ces informations se retrouvent rarement dans la documentation disponible aujourd’hui.

 


Texte élaboré à partir d’une proposition d’Agnès Lacaille sur base de recherches spécifiques et d’une synthèse issue des données ci-dessous.

SOURCES

Entretiens, sources indirectes/inédites : Mathilde Leduc-Grimaldi, Xavier Luffin, Hein Vanhee, Anne Welshen.

Archives :

Publications (articles et ouvrages) :

  • ARSOM. 1988. Le Centenaire de l’Etat indépendant du Congo. Collection of studies. Brussels: RAOS, 533 p. Disponible en ligne
  • Coosemans, M. 1948. ‘Storms Émile Pierre Joseph, belge’. In Biographie coloniale Belge. Brussels: Institut royal colonial belge, vol I, col. 899-903.
  • Denuit-Somerhausen, C. 1988. ‘Les traités de Stanley et de ses collaborateurs avec les chefs africains, 1880-1885’. Recueil d'études. Le centenaire de l'État Indépendant du Congo. Brussels: Royal Academy for Overseas Sciences, pp. 77-146.
  • Jacquemont, V. & Storms, E. 1886-1887. ‘Notes ethnographiques sur la partie orientales de l’Afrique équatoriale’. Bulletin de la société d’Anthropologie de Bruxelles, t. V.
  • Luffin, X. 2007. ‘Cinq actes de soumission en swahili en caractères arabes du Marungu (1884-1885)’. Annales Aequatoria 28: 169-199.
  • Le Mouvement géographique. 1885, 17: 69.
  • Roberts, Allen F. 2013. A Dance of Assassins. Performing Early Colonial Hegemony in The Congo. Bloomington: Indiana University Press, 311 p.
  • Roberts, Allen F. 2018. Lusinga in Los Angeles. Online: https://www.lusingatabwa.com/2018/03/lusinga-in-los-angeles.html
  • Roberts, Allen F. 2000. ‘Tawba statues’. In: Verswijver et al., Treasures from the Africa-Museum, Tervuren. Tervuren: RMCA, pp. 368-369.
  • Roberts, Allen F. & & Maurer, E.M. 1986. Tabwa Art. The Rising of the New Moon. Tervuren: RMCA, 288 p.
  • Volper, J. 2012. ‘Of sculptures and skulls. The Émile Storms Collection’. Tribal Arts 66: 86-95.
  • Volper, J. 2021. ‘La mort et son numéro d’inventaire. Quelques réflexions autour des crânes humains en collections muséales’. In Th. Beaufils & Ch. Ming Peng (eds), Histoire d'objets extra-européens: collecte, appropriation, médiation. Villeneuve d’Ascq: Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, ‘Histoire et littérature du Septentrion (IRHiS)’ series, no. 66. Disponible en ligne
  • Wastiau, B. 2006. ‘The scourge of chief Kansabala: the ritual life of two Congolese masterpieces at the Royal Museum for Central Africa (1884-2001)’. In: M. Bouquet & N. Porto (eds), Science, Magic and Religion: The Ritual Processes of Museum Magic, New York/Oxford: Berghahn Books, pp. 95-116. Disponible en ligne

 

Les informations qui se trouvent dans cet article reposent essentiellement sur les ressources disponibles au musée (archives, publications, etc.). Les biographies de ces objets et de ces documents peuvent donc toujours être enrichies. Avez-vous des remarques, des informations ou des témoignages à partager sur cet objet ou sur ce type d’objets ? N’hésitez pas à nous contacter : provenance@africamuseum.be.

 

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