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Recherche | Guide pratique | Les auteurs | Clause de non-responsabilitéLes tradipraticiens: méthodes de rencontre (raconté par Jean Lehmann)
Nous avons côtoyé durant cinq années une centaine de tradipraticiens du Burundi. Ces hommes ont accepté de nous confier quelques informations.
Pour l'Européen qui ne connaît ni la langue, ni les coutumes, il est illusoire de vouloir rencontrer un tradipraticien qui témoigne de son art. Si d'aventure il tente d'établir un tel contact, il se heurtera à quelques sourires, à des réponses évasives ou au traditionnel "je ne sais pas".
En fait, il inquiète et son insistance suscite bien des questions:
- Que vient faire ce Blanc, ce "muzungu" dans le pays ?
- Quelles sont ses intentions ? Il ne peut nous comprendre car sa façon de penser, sa façon de vivre en font un être d'un autre monde !
- Va-t-il répéter nos paroles aux autorités ?
- Quelle confiance peut-on accorder à son interprète ?
- Celui-ci n'est-il point un membre de l'administration, qui contrôle toutes les conversations ?
Même si ces questions reçoivent une réponse satisfaisante et rassurante, beaucoup de tradipraticiens pensent que l'essence du pouvoir de guérir est mystérieuse et qu'il est bien difficile de parler de l'incommunicable.
Et puis, dévoiler les secrets de l'ancêtre, n'est-ce pas là un bien grand danger?
Parler à cet étranger perturbera peut-être la communauté et les malades.
L'introduire dans l'enclos, c'est prendre le risque qu'il aperçoive l'un ou l'autre homme important.
C'est bien gênant !
Ces réticences accumulées constituent un barrage presque infranchissable que seul peut surmonter celui qui a côtoyé longtemps ces populations et capté leur confiance.
Quelques personnes disposent d'un tel capital d'estime: missionnaires, membres des communautés religieuses autochtones, l'un ou l'autre représentant du parti local ou de l'administration. Il nous fallait les contacter et les persuader de nous aider.
Le temps a passé et il est devenu possible de distinguer les pratiques bénéfiques. A l'heure actuelle, la fonction d'herboriste est encouragée et certains remèdes ont été adoptés dans les dispensaires de quelques missions.
C'est dans celles-ci que nous avons cherché nos ambassadeurs auprès des populations locales.
A ces missionnaires, à ces religieux africains nous avons d'abord expliqué nos buts et nos méthodes. Quelques-uns d'entre eux ont accepté de nous aider.
En ce qui concerne les autorités civiles et politiques, il s'agissait d'obtenir leur neutralité bienveillante et parfois un mot d'introduction. Les Européens qui séjournent dans les collines et y travaillent à des tâches autres que techniques sont rares. Quiconque tente de s'introduire dans les milieux coutumiers risque d'être suspecté d'intentions politiques, de prosélytisme philosophique; il sera observé et ses interlocuteurs interrogés. Plus d'un fut poliment prié de quitter le pays.
Enseignants à l'Université officielle du Burundi, nous avions obtenu des autorités académiques des lettres d'introduction. Celles-ci nous ont permis de circuler librement et de contacter ceux qui acceptaient de nous recevoir.
Une centaine de guérisseurs ont accepté ces conditions de collaboration à notre enquête. Généralement nous les rencontrions en un lieu-dit, une mission, un petit poste administratif, une clairière, plus rarement chez eux. Le rendez-vous était programmé longtemps à l'avance. Ainsi, le tradipraticien avait-il la possibilité de récolter ou de faire récolter par ses fournisseurs habituels les plantes qu'il désirait nous vendre.
D'autres fois, il était séduit par la possibilité d'être véhiculé loin de chez lui, ce qui lui permettait de récolter, en grandes quantités et pour ses propres besoins, les espèces introuvables dans sa région.
Cette technique d'approche a donné de bons résultats. Elle demandait du temps et de la patience.
Au total, de 1980 à 1984, nous avons récolté +/- 6000 plantes, chaque guérisseur ayant été contacté au moins cinq fois. L'expérience aidant, il apparut que certains avaient une meilleure connaissance du monde botanique et de la médecine traditionnelle que d'autres. Ceux-là nous les avons rencontrés très souvent.
Dans certaines régions, nos passages fréquents ne suscitaient plus aucune curiosité. Nous devenions un élément du paysage social. Nos relations avec certains guérisseurs devenaient amicales. Au point qu'eux-mêmes se chargeaient de nous faire rencontrer certains de leurs confrères. En échange, nous les avons aidés à prendre contact avec des tradipraticiens d'autres régions.
Nos travaux étaient menés dans le cadre des recherches du département de botanique à l'Université du Burundi. Des étudiants ont été naturellement associés à nos enquêtes. Ils nous accompagnaient dans nos excursions et officiaient entre autres en tant que traducteurs. Chacun d'entre eux travaillait toujours avec les mêmes tradipraticiens. Ainsi se formaient de petits groupes constitués de guérisseurs, d'enquêteurs et d'étudiants qui apprenaient à se connaître. Des liens d'amitié se tissaient et la bonne entente s'améliorait au fil des rencontres.
Nous avons toujours obtenu de cette manière une très bonne collaboration de tous.
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