Les pratiques de collecte coloniales du début du XXe siècle passées au crible

Le chef Maroka sur un tipoi "à la belge", comme le dit l'Iteni, un participant à l'étude. Photo de la collection Hutereau, AP.0.0.11982

La soif de collecte des collectionneurs internationaux

Entre 1911 et 1913, l'ancien militaire Armand Hutereau est envoyé au nord-est du Congo afin « d’enrichir » le Musée du Congo belge à Tervuren (aujourd'hui AfricaMuseum) avec des objets ethnographiques uniques de la colonie. Cette entreprise était en concurrence avec d'autres grandes expéditions de collecte du American Museum of Natural History (1909-1915) et du Musée ethnologique de Berlin (1907-1908).

Hutereau est revenu avec pas moins de 8000 objets, dont de nombreux instruments de musique, pots et sculptures remarquables, ainsi que des photographies, des films et des enregistrements sonores. La collection est mondialement connue, dans la mesure où elle présente un patrimoine congolais unique.

Chef Maroka

Cependant, Hannelore Vandenbergen n'axe pas ses recherches sur le « collectionneur » belge, mais sur le chef congolais Maroka. Le chef Maroka a vécu de 1884 à 1927 à Faradje, une ville dans la province du Haut-Uélé, dans l’actuelle République démocratique du Congo (RDC), où les membres de l'expédition Hutereau (et d'autres expéditions scientifiques) l'ont rencontré et photographié à plusieurs reprises. En évitant délibérément de se focaliser sur le chef de l'expédition européenne, cette étude teste l'eurocentrisme dans l'histoire occidentale.

« Je suis tombée par hasard sur quelques photos de Maroka au cours de mes recherches dans les archives, et j'ai trouvé son nom dans certains rapports. Bien qu'il ait été visiblement présent dans la collection, il était complètement absent de l'historiographie coloniale de l'expédition », explique Hannelore Vandenbergen. « Il y a donc dans la collection de nombreux indices qui n'ont jamais été mis en évidence auparavant mais qui ont une grande importance pour l'histoire de la RDC et pour la tradition contemporaine. » À partir d'une focalisation à multiples facettes sur le chef charismatique, Vandenbergen passe au crible la collection Hutereau et les pratiques de collecte coloniales du début du XXe siècle.

Témoignages d'aujourd'hui

À travers des rencontres et des conversations avec les descendants congolais de Maroka, l'historienne croise des témoignages contemporains avec des histoires du passé. Mémoires orales, photos et objets se recoupent ainsi dans ce processus.

Dans une perspective postcoloniale, elle recherche de nouvelles collaborations pour des recherches et des expositions sur des collections constituées durant la période coloniale. « Après avoir examiné quelques photos d'objets de la collection Hutereau, par exemple, une exposition a été organisée dans la salle paroissiale de Faradje et un atelier d'histoire pour les jeunes. Le désir de créer un centre culturel a également été exprimé », explique Vandenbergen.

L'expédition Hutereau

Enfin, ces recherches mettent également au jour des aspects sous-exposés de l'expédition Hutereau de 1911-1913. La correspondance des membres de l'expédition montre, entre autres, que la coopération entre eux n'a pas été facile. « Une grande attention est également accordée aux rencontres entre les membres de l'expédition et la population congolaise lors de leur voyage à travers le nord-est du Congo. La question se pose de savoir si Hutereau peut être considéré comme un "chef amical", comme l'a décrit un compatriote, ou comme un sasa-moka, ce qui signifie "un peu meurtrier" en lingala », selon Vandenbergen.

Hannelore Vandenbergen présentera sa recherche doctorale, réalisée dans le cadre du projet CongoConnect, au printemps 2021.