Pourquoi des continents sur Terre et pas sur Mars ?

Comment les continents terrestres ont-ils été engendrés ? Pourquoi n’y en a-t-il pas sur Mars ? Une étude, menée par Luc André (MRAC et ULB) dévoile que la formation des continents est rendue possible par un enrichissement des roches sources en silicium au contact de l’océan primitif il y a plus de 3 milliards d’années. Publiée dans Nature Geoscience, cette découverte est le résultat d’une longue collaboration avec l’Université Macquarie de Sydney et l’Université de Johannesburg.

silicified basalts dating 3.41 billion years

Lave basaltique silicifiée de 3.41 milliards d’années dont les formes en coussins caractéristiques de l’émission sous-marine ont été aplaties lors de la déformation de la roche après silicification. Les zones gris-bleues sont formées de silice (SiO2) pure. (Nondweni,  Afrique du Sud, courtesy of A. Hofmann and A. Wilson)

 

Parmi les planètes du système solaire, la Terre est la seule à posséder des continents importants. La surface des autres planètes rocheuses (comme Mars) est composée essentiellement de roches basaltiques sans continents clairement différenciés. Quelle est l’origine de cette particularité ?

La question passionne depuis plusieurs années l’équipe de Luc André, chercheur et professeur à l'ULB et au MRAC, où il dirige le Département des Sciences de la Terre. Une question de recherche partagée avec les équipes des professeurs Foley (Macquarie University, Sydney, Australie) et Hofmann (University of Johannesburg, Afrique du Sud).

Les trois équipes publient une étude dans Nature Geoscience, révélant l’importance du mécanisme d’enrichissement en silicium des roches basaltiques sources du développement des continents au contact de l’océan primitif de la Terre. C’est l’élément manquant permettant enfin d’expliquer la formation des continents spécifiques à notre planète bleue.

 

L’eau, vecteur facilitateur

L’essentiel du volume de la croûte continentale qui constitue aujourd’hui les continents s’est formée il y a plus de 3 milliards d’années. Comment ? Les chercheurs soupçonnaient que le facteur déclencheur de la croissance des continents pouvait être la présence de l’eau sur Terre : au contact de l’océan primitif, les roches produites par la fusion du manteau engendreraient des basaltes hydratés, qui fondraient à leur tour pour produire la croûte continentale.

Ce modèle se heurtait cependant à une difficulté majeure : lors de leur transport en profondeur, les basaltes hydratés perdent progressivement leur eau avant de fondre. Comment dès lors expliquer la fusion et la formation de la croûte continentale ?

 

L’eau a joué un rôle fondamental mais indirect dans la genèse des continents. C’est l'excès de silicium, consécutif à la silicification des basaltes au contact de l'océan primitif, qui a facilité leur fusion à plus basses températures

Le silicium lourd est la clé

Les équipes des professeurs André, Foley et Hofmann viennent de découvrir un élément crucial, qui apporte une réponse à cette question : l’enrichissement en silicium des basaltes hydratés au contact de l’océan primitif de la Terre.

Les chercheurs ont étudié les roches continentales les plus anciennes du continent africain, en Afrique du Sud (craton de Barberton). Ils y ont mesuré la composition isotopique du silicium au moyen d’un spectromètre de masse performant. Ils ont ainsi démontré que les roches composant les continents primitifs contiennent une quantité anormalement haute de l’isotope 30 du silicium, qui ne peut dériver que de l’eau de mer de l’époque.

Luc André, premier auteur de l’étude, explique : « L’eau a joué un rôle fondamental mais indirect dans la genèse des continents. L’interaction des basaltes émis au fond de l’océan primitif, saturé en silicium dissous, a permis de les enrichir en isotope 30 du silicium. C’est cet excès de silicium, consécutif à la silicification des basaltes, qui a facilité ensuite leur fusion à plus basses températures lors de leur transport à plus grande profondeur à l’intérieur du globe terrestre. La disparition très précoce des océans sur Mars il y a 4 milliards d’années aurait par contre empêché cette silicification, ce qui expliquerait l’absence de continents sur Mars ».

 

Une enquête et une collaboration de longue date

Cette mesure a pu être réalisée à l’aide d’un spectromètre de masse à source plasma et multicollection, acquis en 2014 grâce à un crédit "grands équipements-infrastructures" du FNRS et installé à l’ULB dans le cadre d’une collaboration entre l’ULB et le MRAC. Cet appareil permet d’ioniser le silicium à très haute température (+/- 10000°C) et d’obtenir ainsi la précision requise (<0.05‰) pour identifier de subtiles différences de composition isotopique (proportions relatives des isotopes 28, 29 et 30 du silicium) entre les roches.

« Mesurer la composition isotopique du silicium dans de telles roches anciennes est un vieux rêve qui remonte déjà à la fin des années 80. Cette découverte est donc le fruit d’un très long cheminement de près de 30 ans », explique Luc André. Son équipe a d’abord mis au point en 2003, en première mondiale, la technique d’analyse des isotopes du silicium par spectrométrie.

 

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Lave basaltique silicifiée de 3.47 milliards d’années dont l’entière silicification a préservé les structures en coussins de forme arrondies résultant de l’ émission sous-marine de la lave. (Barberton,  Afrique du Sud, courtesy of A. Hofmann and A. Wilson)

En savoir plus

Article scientifique : Luc André, Kathrin Abraham, Axel Hofmann, Laurence Monin, Ilka C. Kleinhanns and Stephen Foley, Early continental crust generated by reworking of basalts variably silicified by seawater, publié dans Nature Geoscience le 26 août 2019. DOI: 10.1038/s41561-019-0408-5

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