L'érosion ravinante met des millions de résidents urbains en danger au Congo
Dans les villes en pleine expansion de la République démocratique du Congo, les chutes de pluie intenses créent d'importantes ravines par milliers. Ces profonds sillons érosifs détruisent les maisons, et on estime que 12 000 Congolais perdent ainsi leur habitation chaque année. De récentes recherches, pilotées par la KU Leuven et l'Université Officielle de Bukavu, ont quantifié ce phénomène sous-estimé, plaident pour une meilleure prise de conscience et appellent à plus de planification et d'infrastructure urbaines. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans Nature.

Les ravines sont de grands et profonds sillons causés par l’eau de pluie qui force son passage à travers les terrains avec une grande puissance, érodant le sol. Dans les zones urbaines, elles constituent un problème majeur et peuvent causer l’effondrement des maisons, des routes et des infrastructures. Les conséquences peuvent être désastreuses, comme l’ont montré les fortes pluies qui se sont abattues sur Kinshasa en décembre 2022, quand les ravines urbaines ont causé la perte de dizaines de vies.
« Pourtant, le problème reste méconnu, et les villes continuent de s’étendre dans les zones vulnérables à l’érosion », explique le professeur Matthias Vanmaercke, du Department of Earth and Environmental Sciencesde la KU Leuven. « Avec nos recherches, nous voulons mettre en évidence les risques liés à ce problème grandissant, et plaider pour plus de mesures préventives telles qu’une meilleure planification urbaine et de meilleures infrastructures. Nous plaidons également pour inclure ces grandes ravines d’érosion dans les plans d’urgence internationaux. »
3,2 millions de personnes vivent dans des zones à risque
L’équipe de chercheurs congolais et belges ont identifié un total de 2922 ravines urbaines dans 26 villes congolaises. La formation de ces ravines résulte de la conjugaison de trois facteurs : pluies intenses, urbanisation mal pensée et infrastructures déficientes. À l’aide d’images satellite et de données démographiques, ils ont estimé à 118 600 le nombre de personnes que ces ravines ont forcées à abandonner leur habitation entre 2004 et 2023. Depuis 2020, la tendance s’est accélérée pour atteindre une moyenne de 12 200 personnes perdant leur habitation chaque année.
Des analyses plus approfondies ont permis à l’équipe de cartographier les principales zones à risque. Pour la première fois, il existe une représentation systématique de l’étendue et de la distribution de ce genre d’érosion ravinante pour un pays entier.
« Notre étude est la première à indiquer que ces ravines ne sont pas des incidents isolés. Il s’agit d’un problème structurel qui prend rapidement de l’ampleur », déclare le professeur Vanmaercke. « Rien qu’au Congo, 3,2 millions de personnes vivent dans des zones à risque. Ce nombre est comparable à celui des personnes courant le risque d’être affectées par des glissements de terrains ou des inondations. Mais il s’agit d’une autre forme de danger qui est souvent négligée. »
Un problème sous-estimé et grandissant
« Les risques et les conséquences continueront très vraisemblablement de croître en réponse à l’urbanisation et au changement climatique », note le professeur Vanmaercke. De nombreux autres pays du Sud sont touchés par ce problème. Les ravines se forment généralement dans des zones urbaines pauvres établies sur des pentes abruptes avec des sols généralement sableux. Le ruissellement incontrôlé des eaux de pluie, causé par une planification urbaine et une gestion de l’eau inadéquates, déclenche l’érosion. Dans de nombreux cas, les ravines continuent de s’étendre année après année, et de déplacer les populations locales.
« Une fois formées, ces ravines peuvent continuer de grandir pendant des décennies si rien n’est fait », explique le professeur Vanmaercke. « Pour la population locale, elles constituent un problème quotidien et un risque. Pourtant, elles sont rarement reconnues comme catastrophes ou prises en considération dans les politiques de réduction des risques de catastrophes, ce qui est particulièrement préoccupant. »
Photo © Matthias Vanmaercke, 2018
La recherche est présentée dans l’article « Mapping urban gullies in the Democratic Republic of the Congo » d’Ilombe Mawe et al. paru dans Nature. Elle a été financée par le projet ARES-PRD PREMITURG, par le programme DGD du Musée royal de l’Afrique centrale et par le FWO.
L’équipe de recherche est constituée de chercheurs issus de la KU Leuven, de l’Université Officielle de Bukavu, du Musée royal de l’Afrique centrale, de l’Université de Kinshasa, de l’ULiège, du Centre de Recherche géologique et minière de Kinshasa, de l’Université catholique de Louvain et de la Maria-Curie Sklodowka University de Lublin.