Les forêts tropicales de montagne africaines stockent davantage de carbone que ce que l’on pensait, mais elles disparaissent rapidement

Des scientifiques qui étudient les forêts tropicales de montagne africaines ont été surpris de découvrir l’importante quantité de carbone qu’elles stockent, mais aussi la vitesse à laquelle elles sont rasées.

La forêt de montagne de Nyungwe (Rwanda)

La forêt de montagne de Nyungwe (Rwanda) abrite de nombreuses espèces (y compris le cercopithèque de l’Hœst) que l’on trouve uniquement dans la zone du rift est-africain. © Wannes Hubau, Musée royal de l’Afrique centrale

 

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Les forêts de montagne africaines sont étonnamment riches en carbone. Les gros arbres, comme celui en photo (réserve de Luki, République démocratique du Congo), jouent ici un rôle considérable, tout comme dans les forêts de basse altitude. © Wannes Hubau, Musée royal de l’Afrique centrale

Selon l’étude internationale publiée aujourd’hui dans Nature, les forêts tropicales de montagne d’Afrique stockent environ 150 tonnes de carbone par hectare quand elles sont intactes. En d’autres termes, préserver un hectare de ces forêts permet d’éviter des émissions de CO2 équivalentes à l’alimentation en électricité de 100 ménages pendant un an.

L’étude révèle que les forêts de montagne africaines stockent davantage de carbone par unité de surface que la forêt amazonienne et ont une structure similaire aux forêts de basse altitude d’Afrique. Les directives existantes pour les forêts de montagne africaines (selon lesquelles ces forêts stockent 89 tonnes de carbone par hectare) sous-estiment grandement leur rôle dans la régulation du changement climatique.

L’équipe internationale, dont deux scientifiques du Musée royal de l'Afrique centrale, a aussi cherché à savoir quelle surface de forêt tropicale de montagne a été perdue sur le continent africain au cours des 20 dernières années. Elle a découvert que 0,8 million d’hectares ont disparu, principalement en République démocratique du Congo, en Ouganda et en Éthiopie, entraînant ainsi l’émission de 450 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Si la déforestation se poursuit au rythme actuel, 0,5 million d’hectares supplémentaires seront perdus d’ici 2030.

 

Étonnamment riche en carbone

L’auteure principale, Dr Aida Cuni-Sanchez, du département d’environnement et de géographie de l’Université de York et de l’Université norvégienne des sciences de la vie, a déclaré : « Les résultats sont surprenants parce que l’on pourrait s’attendre à ce que le climat dans les montagnes entraîne un stockage moindre du carbone. Les températures plus basses et les longues périodes de couverture nuageuse devraient ralentir la pousse des arbres, tandis que les vents violents et les pentes raides et instables pourraient empêcher que les arbres ne deviennent vraiment très grands avant de tomber et de mourir. »

« Mais contrairement aux autres continents, on observe en Afrique le même stockage de carbone par unité de surface dans les forêts de basse altitude que dans les forêts de montagne. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les gros arbres (d’un diamètre de plus de 70 cm) sont nombreux dans les forêts de montagne et ils stockent beaucoup de carbone. »

Le rôle des forêts tropicales de montagne africaines pour le cycle global du carbone ne devrait pas être sous-estimé

Les scientifiques ont mesuré 72 000 arbres sur 44 sites montagneux dans 12 pays africains, de la Guinée à l’Éthiopie, en passant par le Mozambique, plus au sud. Sur chaque site, ils ont délimité des parcelles au sein desquelles ils ont noté le diamètre, la hauteur et l’espèce de tous les arbres. Les chercheurs affirment qu’une meilleure connaissance de la quantité de carbone stockée par les forêts de montagne est particulièrement importante pour les 10 pays africains où toutes les forêts tropicales sont situées dans les montagnes.

« Nous savons aujourd’hui que les forêts africaines sont spéciales, mais nous ne savons toujours pas pourquoi. Il est possible que la présence sur le continent de grands herbivores comme l’éléphant joue un rôle important dans l’écologie de forêts de montagne, puisque ces animaux dispersent les graines et les nutriments et mangent les petits arbres, créant ainsi l’espace nécessaire pour permettre aux autres de grandir. Des recherches plus approfondies sur le sujet sont néanmoins requises », ajoute Dr Cuni-Sanchez.

 

Réduire la déforestation : une priorité absolue

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Au Cameroun, on trouve aussi une petite chaîne de montagnes, qui est riche en carbone et abrite une incroyable diversité d’espèces. © Wannes Hubau, Musée royal de l’Afrique centrale

Le co-auteur Wannes Hubau (Musée royal de l’Afrique centrale et professeur à l’Université de Gand) déclare : « De précédentes recherches nous avaient déjà appris à quel point les forêts de basse altitude africaines sont importantes pour le cycle global du carbone, mais il est maintenant de plus en plus clair que le rôle des forêts tropicales de montagne africaines ne devrait pas être sous-estimé. De plus, ces écosystèmes abritent une biodiversité particulièrement riche et unique, et sont un refuge pour de nombreuses espèces animales et végétales rares et menacées. » Et le co-auteur Dr Phil Platts, du département d’environnement et de géographie de l’Université de York et du Groupe de spécialistes sur les changements climatiques de l’UICN, d’ajouter : « Outre leur importance pour la biodiversité et la régulation du climat, ces forêts approvisionnent en eau des millions de personnes en aval. Cependant, environ 5 % des forêts tropicales africaines ont été rasées depuis 2000 et, dans certains pays, ce taux dépasse même les 20 %. »

La plupart des nations africaines se sont engagées à consacrer de vastes étendues de terre à la restauration des forêts au titre du Défi de Bonn. Même si le reboisement est important pour atténuer le changement climatique, la priorité devrait être d’éviter la déforestation. Le co-auteur Dr Martin Sullivan, du département des sciences naturelles de l’Université métropolitaine de Manchester, précise : « les précédentes estimations des quantités de carbone stockées par les forêts tropicales de montagne africaines étaient bien inférieures aux valeurs déterminées dans le cadre de notre étude. Nous espérons que ces nouvelles données encourageront les mécanismes de la finance du carbone à éviter la déforestation dans les montagnes tropicales. Comme l’indique l’Accord de Paris, la réduction de la déforestation tropicale, tant dans les forêts de basse altitude que de montagne, doit être une priorité. » Le co-auteur Dr Gerard Imani, du département de biologie de l’Université officielle de Bukavu, en RD Congo, ajoute : « les mécanismes de la finance du carbone pourraient contribuer à améliorer les interventions en faveur de la conservation sur le terrain ; même dans les zones protégées, la déforestation, la dégradation des forêts et la défaunation restent un défi. »

 

En savoir plus

Article scientifique: Aida Cuni-Sanchez, Martin J. P. Sullivan, Phil Platts, Simon L. Lewis, Rob Marchant, Gérard Imani, Wannes Hubau et.al., High above-ground carbon stock of African tropical montane forests, Nature, 25 August 2021. DOI: 10.1038/s41586-021-03728-4. https://www.nature.com/articles/s41586-021-03728-4

Les données de l’inventaire forestier sont issues des réseaux de parcelles AfriMont et AfriTRON, qui couvrent 13 pays africains (www.afritron.org). Les données sont conservées sur www.forestplots.net