Un lac artificiel : un paradis pour les parasites ?

Les biologistes du Musée Royal de l’Afrique-Centrale (MRAC) et de la KULeuven ont démontré comment un petit escargot d’eau douce, originaire de l’Amérique du Nord, est capable de stimuler la propagation de certaines maladies en Afrique. Cette espèce d’escargot est présent en grand nombre dans le lac Kariba, un lac artificiel qui se trouve au Zimbabwe. Plus de 50 pourcent des escargots retrouvés sont porteurs d’un parasite : la douve du foie. Comme son nom l’indique, ce ver plat est un parasite du foie. La douve affecte surtout les ruminants, mais peut aussi affecter les humains. Les chercheurs indiquent que les lacs artificiels sont plus propices à de telles invasions d’espèces exotiques, qui, eux, voyagent dans le monde entier grâce à la mondialisation.

Un lac artificiel : un paradis pour les parasites ?

La douve du foie (© J. Brecko, MRAC)

 

De nouveaux arrivants

Pendant leurs recherches dans le plus grand lac artificiel au monde, le lac de Kariba, les chercheurs du MRAC et de la KULeuven ont trouvé de grandes quantités d’escargots d’eau douce, originaires de l’Amérique du Nord. L’escargot est une nouvelle espèce dans le lac. De plus, les chercheurs ont établi qu’une proportion exceptionnelle des escargots est infecté par la douve du foie.

Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la Santé, 2.4 millions de personnes dans plus de 70 pays sont infectées par ce ver plat. De plus, ce parasite provoque d’énormes pertes financières pour l’industrie de l’élevage dans le monde entier. Les larves de la douve du foie se développent à l’intérieur d’un escargot. Après, ils quittent leur hôte et s’enkystent sur une plante aquatique. Tout comme les animaux, les humains peuvent être infectés en mangeant ces plantes ou en buvant de l’eau contaminée.

 

De telles interventions humaines sur la nature peuvent créer de nouveaux terrains de reproduction pour des vecteurs de maladies infectieuses

Un effet cascade

Les chercheurs ont également trouvé une deuxième espèce invasive : la jacinthe d’eau, originaire de l’Amérique du Sud. Cette plante n’est pas une résidente naturelle du Zimbabwe. De nombreuses espèces sont introduites dans de nouveaux domaines. Comme cette recherche le démontre, ces introductions peuvent entrainer un effet cascade. La jacinthe d’eau, par exemple, forme un habitat parfait pour les escargots d’eau douce. De plus, la plante leur fournit les nutriments nécessaires. A son tour, la douve de foie doit pénétrer un de ces escargots avant de pouvoir se multiplier.

 « Cette série d’invasions biologiques se produit plus facilement dans les lacs artificiels », explique Tine Huyse, parasitologue au MRAC. « Ces lacs sont des endroits vulnérables, car ce sont des systèmes encore relativement inhabités. Tout comme dans un nouvel appartement avec de nombreuses pièces vides, les espèces invasives sont libres de s’installer dans les niches vides ».

 

L’homme, un danger pour l’homme ?

Le barrage de Kariba a été construit en 1958 et il fournit de l’électricité aux régions du Zimbabwe et de la Zambie. « De telles interventions humaines sur la nature peuvent créer de nouveaux terrains de reproduction pour des vecteurs de maladies infectieuses, comme les escargots d’eau douce ou encore les moustiques porteurs de malaria, et elles ont déjà provoqué de nouvelles épidémies dans plusieurs pays comme l’Égypte, le Sénégal et le Ghana », indique Tine Huyse.  

Cette recherche souligne l’importance d’une surveillance régulière des espèces invasives, un sujet qui forme le fil conducteur dans les recherches des biologistes du MRAC. En même temps, cela nous invite à réfléchir en tant qu’humains car selon Tine Huyse : « Nous luttons contre les maladies infectieuses dans le monde entier, cependant, sans le vouloir, nous encourageons leur propagation ». L'impact de l'homme sur la nature est un thème central dans l’espace « Paysages et biodiversité » dans la nouvelle exposition permanente du Musée de l’Afrique, qui a récemment rouvert ses portes.

 

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Effet cascade des invasions biologiques dans le lac Kariba au Zimbabwe, le plus grand lac artificiel du monde. (©H. Carolus, MRAC).

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Espèce invasive d’escargot d’eau douce, originaire de l’Amérique du Nord (Pseudosuccinea columella) (©H. Carolus, MRAC)

 

En savoir plus

Lisez l'article dans le Science Journal for Teens : Pourquoi les espèces envahissantes préfèrent-elles les lacs artificiels ? (PDF, 1.1 MB)
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Article scientifique: Hans Carolus, Kudzai C. Muzarabani, Cyril Hammoud, Ruben Schols, Filip A.M. Volckaert, Maxwell Barson, Tine Huyse, A cascade of biological invasions and parasite spillback in man-made Lake Kariba, Science of The Total Environment, Volume 659, 1283-1292 (1 april 2019).

Le projet de recherche

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