Découverte d’une nouvelle espèce de poisson dans le bassin du Congo, hotspot de la diversité aquatique

Des chercheurs rattachés au MRAC ont identifié dans le Parc national de l’Upemba, au sud-est de la RD Congo, une nouvelle espèce halieutique (Enteromius thespesios) présentant un remarquable dimorphisme sexuel chromatique. Un projet de coopération mis en œuvre par le MRAC et six partenaires africains a précisément pour objectif de cartographier l’exceptionnelle diversité halieutique dans le bassin du Congo. La protection de ces ressources halieutiques uniques et abondantes dans le deuxième bassin fluvial au monde mérite une attention accrue.

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La rivière Luvilombo, à hauteur des chutes éponymes, est l’habitat de Enteromius thespesios dans le Parc national de l’Upemba. © KMMA/MRAC 2019.

 

« Le merveilleux »

En raison de son aspect gracieux, ce petit poisson de cinq centimètres de long, appartenant au genre Enteromius (famille des barbeaux) a été baptisé thespesios – « le merveilleux » en grec. « Cette espèce se caractérise par la couleur rouge vif de certaines nageoires du mâle, et les proportions différentes de son corps, ce qui permet de le différencier très facilement de la femelle », explique Bauchet Katemo Manda, doctorant congolais (KU Leuven/Université de Lubumbashi/MRAC). Ce dimorphisme sexuel – au niveau de la couleur et de la silhouette – est unique chez ce genre de poissons d’eaux douces africains. « Nous devons encore en apprendre plus sur le mode de vie de ce petit poisson pour savoir si ce dimorphisme est lié à un comportement territorial particulier et/ou à un éventuel comportement de soins à la progéniture chez le mâle », déclare l’ichtyologue (biologiste spécialisé dans les poissons).

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Spécimen Enteromius thespesios mâle, avec une partie de la nageoire rouge vif © KMMA/MRAC 2016

Hotspot de la diversité

Cet étrange poisson n’est qu’une des nombreuses espèces du Parc de l’Upemba encore inconnues des scientifiques jusqu’il y a peu. Les récents travaux sur le terrain et études ont multiplié par deux le nombre d’espèces répertoriées dans ce parc national. « Celui-ci était déjà connu comme étant un hotspot de la diversité halieutique. Il n’existe toutefois pas encore de liste des espèces halieutiques pour de nombreuses autres réserves naturelles protégées », poursuit Bauchet Katemo Manda. A l’époque, ces parcs naturels avaient surtout été créés pour la protection des grands mammifères et des paysages exceptionnels.

Le bassin du Congo est le système fluvial africain le plus riche en espèces halieutiques alors qu’il est encore un des moins bien connus. Mais la cartographie de la diversité halieutique dans dix réserves naturelles de la région est précisément l’objectif du projet Mbisa-Congo, une initiative de coopération entre le MRAC et six partenaires de la RD Congo, de la République du Congo et du Burundi lancée en 2013 avec le soutien financier de la Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire (DGD). « La première étape consiste à documenter toute la diversité de la faune halieutique d’eau douce et de décrire les espèces, dont l’aire de répartition est parfois très limitée », explique Emmanuel Vreven, ichtyologue (MRAC).

 

Avec le projet Mbisa, nous voulons aussi susciter une prise de conscience quant au fait que la faune d’eau douce devrait faire davantage l’objet de mesures de protection et de gestion dans ces zones protégées

Loin des yeux, loin du cœur

Les poissons sont souvent les grands oubliés de la protection de la biodiversité et les laissés-pour-compte de la politique de conservation des espèces. Ainsi, la liste des espèces animales protégées en RD Congo ne compte qu’un seul poisson d’eau douce, alors qu’aucun autre pays au monde n’en recense autant. « Avec le projet Mbisa, nous voulons aussi susciter une prise de conscience quant au fait que la faune d’eau douce devrait faire davantage l’objet de mesures de protection et de gestion dans ces zones protégées, au même titre que les grands mammifères emblématiques. Les réserves naturelles existantes n’ont pas été conçues pour la protection de ces espèces, notamment du point de vue de leur délimitation », ajoute l’ichtyologue Emmanuel Vreven.

Les milieux aquatiques en zones protégées méritent une attention accrue. « La Luvilombo, une des rivières qui abrite cette nouvelle espèce est ainsi parfois totalement à sec, à cause de l’irrigation des terres agricoles. Plus préoccupants encore, les plans pour la construction d’un barrage en aval de la rivière Lufira, au cœur du Parc de l’Upemba », explique Emmanuel Vreven. « Une intervention de ce type dans une zone clé, que l’on souhaite par définition protéger au maximum contre toute influence humaine négative, aura sans aucun doute un impact sur la faune et la flore aquatique, ne serait-ce que parce qu’une partie de la rivière deviendra un lac de retenue », souligne le chercheur.